viernes, 6 de marzo de 2015

LES ERREURS EMBARRASSANTES DANS UNE LANGUE ÉTRANGÈRE

L’art de se ridiculiser (apprendre une nouvelle langue)

La première fois que je suis arrivée à Berlin, je ne parlais pas un mot d’allemand. Ou plutôt, j’en connaissais à peu près six. Je suis arrivée avec une liste de vocabulaire que mon cousin m’avait donnée et des notes de son cours d’allemand au lycée qui contenaient des phrases très utiles comme « Sumpfmonster » (« monstre des marécages ») ou « Zombie-Angriffen » (« attaques de zombie »).
Mais j’ai commencé à apprendre rapidement grâce à plusieurs livres d’allemand que j’avais empruntés à la bibliothèque, une cassette audio, et un livre d’exercices. Et bien sûr, grâce à tous les Allemands avec lesquels j’entrais en contact.
Comme une langue est un phénomène social, on apprend le plus en immersion, en communiquant avec d’autres personnes. Assez vite, j’ai mémorisé un petit texte pour me présenter et j’ai été agréablement surpris de voir combien il avait été utile quand je rencontrais des gens pour la première fois. Je pouvais en réciter parfaitement quelques passages : d’où je venais, pour quelle raison j’étais venu à Berlin, ce que je faisais exactement ici (même si c’était moins une question de grammaire qu’une question existentielle). J’adorais ces conversations. C’était comme si j’avais créé un bout de pelouse plat, parfait pour pique-niquer. Mais après m’avoir posé ces deux ou trois questions initiales, les Allemands voulaient se risquer à aborder d’autres sujets – et j’étais rapidement dépassé, soudainement conscient des falaises abruptes qui plongeaient dans l’abîme de part et d’autre de mon aire de pique-nique. Dans ces moments-là, je ne voulais dire qu’une chose : « Non, stop ! Continuons à parler de la raison pour laquelle je suis venue à Berlin et de la raison pour laquelle toi tu es venu à Berlin. Ou peut-être que je peux te demander quelle heure il est ? ».

“Comme une langue est un phénomène social, on apprend le plus en immersion, en communiquant avec d’autres personnes.”

Mais j’ai continué à apprendre. Quand j’ai eu quelques expressions de base à ma disposition, j’ai commencé à essayer de parler allemand aussi souvent que possible. Je suis soudain devenu conscient d’une des principales différences entre réciter des mots et des phrases dans sa chambre et les tester dans une conversation avec quelqu’un : vous allez forcément faire des erreurs. Des erreurs monumentales. Et les gens vont forcément s’en rendre compte. Vous commencez à vous préparer pour ce moment de gêne incroyable avant même de commencer à parler. Vous devez faire de votre mieux, ravaler votre fierté, être conscient que vous allez faire des erreurs de grammaire très basiques, peu importe ce que vous allez dire, et qu’inévitablement, vous allez vous exprimer comme l’homme de Néandertal. Le temps ralentit sa course et vous entamez un dialogue avec vous-même :
«­ Dis-le, allez, essaye ! Dis : « Merci pour votre aide. » ­«­ Mais je n’arrive pas à me rappeler si c’est juste, en plus je ne suis pas très sûr que le ü se prononce comme ça ! » «­ Mais allez, le caissier est juste là, à attendre. » ­«­ Aah, je vais avoir l’air d’un idiot ! Ok… »
«­ Danke… fer… Hilfe. »
Ces erreurs disparaissent rapidement dans le flux de la conversation, mais il y en a beaucoup d’autres, comme ce type de dérapages magnifiques et opportuns que vous n’auriez même pas réussi à concevoir dans l’intention de faire rire les locaux.

“Ces erreurs disparaissent rapidement dans le flux de la conversation”

Par exemple, j’enseignais l’anglais quand je vivais à Berlin. Et une fois, j’ai eu à appeler une étudiante à son travail pour confirmer l’heure de notre rendez-vous. Quand la réceptionniste a décroché, je me suis démené pour trouver les mots et demander à parler à Maria au poste 234.
«­ Guten Morgen » – jusqu’ici tout va bien – «­ hier ist Mollie » – parfait – «­ darf ich mit Maria sprechen, » – waouh, j’ai assuré, j’ai réussi à placer ce premier verbe et à garder le deuxième pour la fin de la phrase ! J’étais sur une si bonne lancée, que j’ai voulu tenter le mot jackpot : «­ poste », comment dit-on déjà ? – ah oui – «­ Durchfall 234. »
Il y a eu un drôle de silence et puis la réceptionniste s’est éclairci la voix à l’autre bout de la ligne avant de me passer Maria. Je n’ai repensé à cette conversation que quelques semaines plus tard. Je donnais un cours d’anglais des affaires à un groupe de femmes fougueuses et enjouées qui travaillaient avec des médecins américains. L’une d’elles lisait à voix haute en anglais et demanda ce que le mot «­ poste » voulait dire. Comme elle ne comprenait pas mon explication en anglais, j’ai dit le mot en allemand : «­ C’est une Durchfall. » Ce à quoi les cinq femmes ont éclaté de rire.
«­ Durchwahl ! Vous voulez dire Durchwahl ! » s’exclama l’une d’elles.
Vous qui apprenez des langues, soyez attentifs : un changement aussi subtil soit-il de consonne peut avoir de lourdes conséquences. «­ Durchwahl » signifie un poste – «­ Durchfall » veut dire diarrhée.
Ces exemples montrent assez clairement qu’avant d’apprendre à parler avec plus ou moins d’aisance, on passe une période de temps assez significative à se heurter à des situations au degré plus ou moins élevé d’embarras. Au-delà de l’extrême gêne qu’on ressent dans ces moments particulièrement inconfortables, il y a, à long terme, la frustration de ne pas pouvoir exprimer son intelligence et les subtilités d’une expérience personnelle. Bien des gens estiment posséder différentes personnalités selon la langue qu’ils parlent, et souvent ils utilisent un humour bizarre lorsqu’ils ne maîtrisent pas complètement une langue. On réalise seulement combien ce savoir linguistique est réconfortant et utile pour lier de nouvelles amitiés ou accomplir ce qu’on veut que lorsqu’on en est dépossedé.

“Vous qui apprenez des langues, soyez attentifs : un changement aussi subtil soit-il de consonne peut avoir de lourdes conséquences. «­ Durchwahl » signifie un poste – «­ Durchfall » veut dire diarrhée.”

En résumé, peu d’autres expériences nous rendent aussi inaptes en tant qu’adultes. Cela peut sembler intimidant mais le processus, bien qu’un peu fastidieux, est accompagné de quelque chose de magnifique : une des conséquences de cette période d’incapacité linguistique est que l’on acquiert un grand sens de l’humilité. Lorsque nous commençons pour de bon à apprendre une deuxième langue, nous percevons alors notre langue maternelle différemment : nous sommes tout à coup conscients et reconnaissants du peu d’efforts que nous avons eu à faire pour l’acquérir. Je pense même qu’apprendre une langue étrangère donne à nos voix une certaine souplesse et de la grâce quand on reparle dans notre langue. Nous avançons plus doucement dans un espace linguistique où l’on sait que notre langue maternelle n’est plus l’absolue souveraine.